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Faiblesse et maladresse de l'Etat belge

Tombe du Soldat Inconnu sous la Colonne du Congrès à Bruxelles, 1922

Pour faire face aux deuils et aux souffrances, à la vie chère et aux reconstructions, il était nécessaire de maintenir le sens de la guerre tel qu’il avait été vécu ou imaginé pendant le conflit : au nom de la Patrie, des héros étaient tombés au champ d’honneur, mais ils resteraient vivants dans les mémoires ; au nom de la Civilisation, on avait lutté contre la Barbarie, mais l’ennemi exécré payerait tout le mal commis. Ainsi, les morts méritaient l’éternité du souvenir, tandis que les sacrifices consentis exigeaient réparation. Or, cette volonté mémorielle ne fut pas seulement orchestrée par les tenants de la mémoire officielle, elle fut également partagée par l’ensemble des populations concernées.

En Belgique, ce sont même les anciens combattants, les associations de Prisonniers et de Déportés et les simples citoyens qui dicteront la marche à suivre aux autorités nationales. Car, force est de constater que l’Etat belge peine à imposer ses décisions. Il sera même amené à y renoncer tant il cherche, dans cet immédiat après-guerre, à coller à la mémoire de guerre vécue par les populations.

En effet, l’Etat belge ne souhaitait pas encourager la vague d’érection de monuments aux morts locaux, comme en témoigne l’attitude du Ministère des Beaux-Arts en charge des demandes de subsides. Après un débat au Parlement, en juin 1919, le gouvernement décide que seuls les monuments présentant un caractère artistique pourront obtenir un subside de l’Etat à concurrence d’un tiers du montant global. En revanche, l’idée d’un grand monument national aux soldats et aux civils morts pour la Patrie est adoptée par le Parlement dès le 14 juillet 1919. Mais, durant plus de deux ans, les discussions s’enlisent : divers emplacements sont proposés sans jamais faire l'unanimité, l'identité des artistes non plus. Finalement, le gouvernement belge se conforme aux pratiques inaugurées dès 1920 par la Grande-Bretagne et la France : sous la pression des anciens combattants soutenus par l’opinion publique, le 11 novembre 1922, on assiste aux funérailles nationales du Soldat Inconnu inhumé sous la colonne du Congrès à Bruxelles. La veille, cinq corps de soldats non-identifiés, issus des places fortes de Liège, Namur et Anvers, ainsi que du front de l’Yser et la zone reconquise par les armes à l’automne 1918, sont déposés dans une chapelle ardente, à la gare de Bruges. C’est un soldat aveugle, guidé par le ministre de la Défense nationale qui désigna le corps du Soldat Inconnu. En 1924, à la demande des Anciens Combattants, on alluma une flamme sacrée qui illumine aujourd’hui encore la tombe du grand Inconnu. A partir de ce moment-là, le projet d’un grand monument national qui affirmerait l’identité belge née de la guerre à travers les figures des héros et des martyrs, des soldats et des civils devient obsolète. Il ne verra, en effet, jamais le jour.

 

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