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Les "atrocités allemandes"

Du côté Allié, les massacres de civils sont immédiatement perçus comme des « atrocités » dont l’ensemble de l’armée, voire le peuple allemand tout entier, est responsable. L’indignation est avant tout morale. Par ces violences, l’Allemagne s’est mise au banc de la Civilisation. Les récits d’atrocités se répandent via les réfugiés belges et français, ainsi que les soldats blessés rapatriés à l’arrière. Ils sont diffusés par la presse, les dessins et les affiches.


Or, ces récits – comme ceux des francs-tireurs, sont des reconstructions qui ordonnent l’expérience chaotique de l’invasion et la rendent intelligible. L’analyse des témoignages montre le décalage entre la perception des témoins et la réalité. Ce sont essentiellement des récits de terreur qui témoignent du sentiment de vulnérabilité des civils, de l’attachement à la propriété et aux lieux symbolisant les communautés : église, école, place publique, bibliothèque universitaire. Dans ces récits, la violence semble tantôt totalement arbitraire et imprévisible, tantôt systématique et planifiée. Tous ces récits affirment qu’il n’y avait pas de franc-tireur, mais que les Allemands ont pris des soldats belges ou français pour des francs-tireurs ou que les soldats allemands se sont tirés les uns sur les autres. Bref, les témoins cherchent l’explication du malentendu.

Dans les dépositions de témoins auprès des commissions alliées, deux thèmes vont avoir un impact particulier sur l’opinion publique et la construction des atrocités allemandes : les viols et les mutilations. Il y a en effet un lien entre la pratique des viols et la légende des francs-tireurs. Les femmes, accusées d’arracher les yeux des blessés et d’empoisonner les soldats, méritent d’être punies et humiliées. Aux yeux de l’opinion publique, le viol fait partie intégrante des « atrocités allemandes » et témoigne de l’importance du traumatisme des hommes incapables de défendre leur femme et leur famille. Mais l’ampleur du phénomène reste difficile à quantifier.


Quant aux récits de mutilations, très nombreux, rien ne vient corroborer leur réalité. Mais ils expriment la terreur vécue, le sentiment d’être dominé par la brutalité, l’impuissance masculine à jouer son rôle traditionnel de protecteur et l’importance grandissante de l’enfant dans la société de l’époque. Ainsi, les récits inventés des enfants aux mains coupées et des soldats allemands retrouvés avec des mains coupées dans les poches sont tous bâtis de façon identiques : une petite victime silencieuse, une explication donnée par un adulte, l’absence de témoignage direct, une foule de détails sordides qui viennent combler le manque de réalité…


Au total, les récits des atrocités allemandes, comme la légende des francs-tireurs, permettent de rendre intelligible l’expérience de l’invasion et lui donnent sens. Toutefois, contrairement à la légende des francs-tireurs, les récits des atrocités s’enracinent dans une réalité, celle du massacre de près de 6500 civils innocents. La différence est évidemment de taille.

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Affiche allemande placardée sur les murs de la ville de Liège le 22 août 1914