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31 juillet – 10 novembre 1917 : bataille de Passchendaele (troisième bataille d’Ypres)

La Bataille de Passchendaele, appelée aussi troisième bataille d’Ypres, qui débute le 31 juillet 1917 et s’achève le 10 novembre 1917, renvoie exactement aux représentations des combats de la Première Guerre mondiale qui ont conquis notre imaginaire aujourd’hui : violence inouïe d’affrontements gigantesques, puissance écrasante des machines de guerre qui massacrent à bonne distance, mortalité effrayante et accélérée au sein de troupes engagées par vagues, gains territoriaux dérisoires au prix exorbitant d’assauts répétés et de carnages insensés. Le bilan est désastreux pour les Britanniques dont les pertes s’élèvent à environ 250.000 hommes, alors que les objectifs ne sont pas atteints, tandis que les Allemands perdent 170.000 hommes.

La troisième bataille d’Ypres, en 1917, est voulue et préparée depuis longtemps par Douglas Haig, général commandant les troupes britanniques engagées sur le front français et dans les Flandres. Haig est conscient que les Allemands n’ont plus la force d’entreprendre, à ce moment-là, une grande offensive sur le front de l’Ouest. En revanche, ils ont repris la guerre sous-marine à outrance, coulant sans sommation tout navire à portée de tir, y compris des navires marchands neutres. Cette reprise de pratiques de guerre contraires au droit international pousse, d’ailleurs, les Etats-Unis à entrer en guerre en avril 1917. Dans ce contexte, et avec la perspective salutaire d’une intervention américaine pour secourir des armées alliées éreintées, le général britannique croit qu’une ultime offensive à partir du Saillant d’Ypres pourrait briser définitivement l’ennemi, et inaugurer la reconquête.

Dès janvier 1917, Haig propose un plan d’attaque destiné à prendre la côte belge, notamment le port d’Ostende, et neutraliser  les bases de sous-marins. Mais le plan du général Nivelle lui est préféré. C’est seulement après le désastre du Chemin des Dames et le remplacement de Nivelle par Pétain que la stratégie définie par Douglas Haig s’impose. Mais les Britanniques devront se battre seuls, les Français n’ayant plus les moyens d’une offensive d’envergure.

Les préliminaires de la grande bataille semblent se dérouler sous les meilleurs auspices : c’est la brillante bataille de Messines. Mais, plutôt que de profiter de ce coup de maître pour poursuivre l’attaque des lignes ennemies, un repos est accordé aux soldats britanniques ; ce qui permet aux troupes allemandes de se ressaisir. En fait, il faut prendre en compte une dimension politique, car à Londres, le Premier ministre Lloyd George, attentif à son opinion publique et au moral du peuple anglais, hésite à suivre Haig. Effrayé par les pertes de l’armée britannique, il ne veut plus d’une grande bataille comme celle de la Somme. Il préférerait attendre l’arrivée des Américains et, jusque-là, se contenter d’une série d’opérations à objectifs limités : ainsi, au même moment, il envoie des troupes en Italie contre l’Autriche. Or la position des Flandres est la plus solide, donc potentiellement la plus meurtrière, du front de l’Ouest : les belligérants y ont concentré leurs forces les plus importantes. Finalement, Douglas Haig emporte l’assentiment du Premier ministre. Durant quinze jours, l’artillerie britannique prépare le terrain en bombardant les positions allemandes avec quelque quatre millions d’obus. Le 12 juillet est une journée terrible marquée par l’utilisation inédite par les Allemands du gaz moutarde, ou ypérite, référence fait à Ypres.

Le 31 juillet, l’offensive est déclenchée entre Dixmude et la Lys, selon l’axe de la ligne de chemin de fer Ypres-Roulers. Entre Noodschote et Boezinge se concentrent les troupes françaises dirigées par le général Anthoine. La Ve armée anglaise conduite par le général Gough prend position entre Boezinge et Zillebeke, et la IIe  armée du général Plumer complète le dispositif pour le tronçon compris entre Zillebeke et la Lys.  Au début, les Français prennent Bikschote et Steenstrate, et les Britanniques Pilkem, mais la progression est extrêmement lente, les troupes s’embourbent dans un terrain inondé par des pluies torrentielles. Le 16 août, une nouvelle attaque offre Drie Grachten aux Belges et Langemark aux Britanniques, maigres et précaires résultats compte tenu de l’effort investi. Le 20 septembre, un nouvel assaut général allié est mené sous la pluie battante. Pendant 6 jours les combats sont acharnés, et Zonnebeke est repris mais la riposte allemande ne faiblit pas. Entre le 26 septembre et le 3 octobre, les affrontements meurtriers se concentrent dans un espace réduit autour du Polygoonbos. Le 4 octobre, les Britanniques pataugent, mais Haig a changé ses objectifs : non plus Geluveld à l’est, mais Poekapelle et Passchendaele vers le nord. Ce jour-là, 26.000 soldats britanniques tombent. Pourtant, Haig n’en démord pas et poursuit l’attaque. Optimiste jusqu’au bout, il déclare encore à la presse le 9 octobre : « Nous avons pratiquement traversé les défenses ennemies, l’ennemi n’a plus que de la chair et du sang à nous opposer ».  Le 12 octobre, Poelkapelle est enfin conquis et les Français sont arrivés au sud de la forêt de Houthulst.

La lutte a pris des allures sinistres et épouvantablement vaines : dans un paysage ravagé, les morts des deux camps s’ajoutent à ceux des jours passés. En fait le général britannique aurait dû interrompre les opérations, mais il s’obstine à sacrifier inutilement les troupes de l’ANZAC, puis celles du Canada. Le 22 octobre, une ultime offensive générale entre Dixmude et Geluveld est enclenchée. De leur côté, les Belges prennent le Kippe, tandis que les Français s’emparent de Merkem et de la presqu’île de Luigem, mais les Britanniques doivent se battre jusqu’au 31 octobre pour atteindre Passchendaele nettoyé le 6 novembre. Lorsque la bataille prend définitivement fin le 10 novembre 1917, une fois le petit village de Passchendaele sécurisé, les forces du Commonwealth sont saignées à blanc. Les dix kilomètres gagnés ont coûté 25 hommes par mètre ! 100.000 tonnes de fer ont été crachées par les canons anglais, soit le plus grand déferlement de feu dans toute l’histoire de l’artillerie britannique. Certes les pertes sont aussi très élevées du côté allemand, mais les Allemands ont encore de sérieuses ressources sur le front de l’Est.

Surtout, au fil des mois, la nature du projet offensif a complètement changé, ainsi que la signification de la bataille. Alors que les ambitions initiales de Haig devaient conduire l’armée anglaise à prendre un appui décisif sur la côte belge pour démanteler l’armée allemande, la zone des affrontements s’est trouvée réduite à un espace aux limites contraignantes, un point sur une carte, un village et ses environs où se concentrent des combats interminables.